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Page:Marat - Éloge de Montesquieu, éd. Brézetz, 1883.djvu/85

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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

de la nouveauté des idées que de leur grandeur, on ne cesse d’admirer la majesté du sujet, que pour admirer son importance.

Si l’auteur trace le plan des différentes institutions humaines ; s’il dévoile le jeu compliqué des ressorts secrets qui font mouvoir les gouvernemens, qui les maintiennent ou les détruisent, c’est pour enseigner aux princes le grand art d’affermir leur autorité, craignant d’en abuser, et en la rendant légitime. S’il cherche à perfectionner les gouvernemens, c’est pour assurer aux hommes le bonheur, qu’on ne trouve que sous l’empire des loix. Mais quoi ! perfectionner le gouvernement despotique, n’est-ce pas affermir la tyrannie ? Ah ! messieurs, peut-on croire que Montesquieu ait jamais eu dessein de perpétuer ce gouvernement odieux, lui qui n’en parloit point sans frémir[1]. Rendons justice à sa belle âme ; le tableau qu’il en fait en est la plus cruelle satyre. Sans doute c’étoit travailler à l’anéantir, que faire voir ce qu’il faut faire pour le conserver.

Et pour engager les princes à tempérer eux-mêmes leur autorité, ou plutôt à renoncer au pouvoir absolu, que lui restoit-il à faire, que de dévoiler l’impureté de sa source et la fragilité de ses fondemens, que d’environner le despote d’écueils et de précipices, de lui montrer des bras toujours levés pour le renverser, de l’épouvanter sur le trône, et d’empoisonner tous les instans de sa vie ?

Aux vues d’un génie bienfaisant, l’Esprit des Loix réunit le faîte d’un génie sublime.

Quelle solidité dans les principes ! Quelle justesse dans les conséquences ! Quelle évidence dans les résultats.

Voyés avec quel art profond il a su combiner toutes les branches du sistême législatif ; avec quel discernement il

  1. Esprit des Loix, chap. IX du liv. 3.