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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

nombre de ceux qui pensent, chacun voulut le lire. Tout devoit attacher dans une lecture remplie d’idées originales, sublimes par leur objet, séduisantes par leur nouveauté, et qui nous rappelle sans cesse à nous-mêmes en nous occupant de nos plus chers intérêts : mais on cherchoit un ouvrage amusant, et on trouvoit un ouvrage instructif. Trompés dans leur attente, les lecteurs frivoles s’en prirent à l’ouvrage même, ils le traitèrent avec légèreté, ils s’égayèrent sur le titre, et ce précieux monument élevé à la gloire de la nation et au bonheur des peuples fut reçu avec plus que de l’indifférence. Mais bientôt les lecteurs éclairés ramenèrent la multitude égarée, ils lui apprirent ce qu’elle auroit dû penser, et leurs éloges, tour à tour respectés par ces échos dociles, retentirent dans l’Europe entière.

Cependant les ennemis de la philosophie réunis contre l’auteur lui lancèrent à l’envi les traits de leur satyre ; écrits obscurs, bien dignes du mépris dont il les paya. Tant que ces méchans se bornèrent à dénigrer l’ouvrage, Montesquieu garda le silence ; il le rompit lorsqu’ils l’accusèrent d’irréligion, et le dénoncèrent au public comme mauvais citoyen. Mépriser de pareils reproches eût paru les mériter, et la gravité des imputations lui ferma les yeux sur la bassesse de ses adversaires.

Lorsqu’on lit l’Esprit des Loix et qu’on se rappelle que des barbares ont cherché à rendre l’auteur odieux à tous ceux qui ne le connaissoient pas, et suspect à tous ceux qui le connaissoient, on ne revient pas d’étonnement, et on gémit en secret sur la noirceur de la calomnie.

Mais ne tirons pas ces écrits ténébreux de l’oubli où ils sont plongés, ou si nous nous permettons ici d’en dire un mot, que ce soit uniquement pour rappeler la manière enchanteresse dont Montesquieu fit un exemple de leurs indignes auteurs sur celui qui s’étoit le plus signalé ; c’est