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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

Il avoit essuyé les imputations de la superstition et de l’envie ; il essuya celles de l’ignorance et de la légèreté. Aujourd’hui même la critique n’est pas désarmée : peut-être ne le sera-t-elle jamais. Par quelle fatalité s’acharne-t-elle ainsi après un ouvrage immortel ? À entendre les déffenseurs de l’Esprit des Loix on croiroit qu’il y donne prise : quelques-uns mêmes se sont efforcés de composer pour l’auteur. Rendons plus de justice à ce grand homme. Les moins déraisonnables de ses censeurs peuvent être de bonne foi ; mais il n’est pas à leur portée. Voilà le mot de l’énigme.

Assurément rien de plus humain que sa théorie, et de plus solide que ses principes.

Ces raisonnemens toutefois sont toujours trop élevés pour que certains esprits puissent y atteindre. Et comment suivront-ils l’auteur ? Ils parcourent son ouvrage à la volée, ils en méconnoissent le plan, ils en ignorent jusqu’à la langue.

Le reproche qu’ils lui font le plus souvent, c’est d’avoir mis le despotisme au nombre des gouvernemens légitimes.

Peut-il entrer dans l’esprit qu’un philosophe tel que Montesquieu ait pris un change ? Quoi ! de petits commentateurs auroient senti que le despotisme, dont le nom seul fait horreur, est l’abus de toute autorité, et le génie transcendant qui dévoila la profonde politique du sénat de Rome, qui développa toutes les institutions connues, n’auroit pas vu cela ? Mais ouvrés son livre, trop indiscrets censeurs, et vous y[1] apprendrés « que le despotisme est un gouvernement purement militaire, fondé par la force. »

Ils lui reprochent aussi d’avoir avancé qu’il n’y a d’autres loix dans un État despotique que la volonté du tyran. Et pour prouver qu’il s’est trompé, ils parlent de quelques

  1. Chap. XIV du liv. 5.