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J.-P. MARAT

coutumes religieuses que le Grand Seigneur est obligé d’observer ; puis ils s’écrient : Où est donc ce pouvoir absolu qui ne connoît point de loix ? S’ils avoient su réfléchir, ils auroient senti que des coutumes religieuses ne sont pas des loix ; et s’ils avoient su lire, ils auroient vu dans l’ouvrage même qu’ils ont osé critiquer, « que le gouvernement despotique ne se maintient que quand des circonstances tirées du climat, de la religion, ou du génie des peuples, le forcent à suivre quelque ordre, à souffrir quelque règle. Sans doute l’empire qu’exerce une puissance qui s’est élevée au-dessus des loix n’est pas moins odieux qu’illégitime, et malheureusement pour le repos de la terre, les exemples n’en sont pas rares. Mais c’est une erreur de croire qu’il y ait dans le monde une autorité humaine à tous égards despotique ; il n’y en a jamais eu, et il n’y en aura jamais ; le pouvoir le plus immense est toujours borné par quelque coin. » Que penser de leur critique ? C’est Montesquieu[1] lui-même qui dit cela.

Je ne dédaignerois pas le suivre plus loin, si d’autres objections qu’ils lui ont faites n’avoient été répétées par quelques auteurs de nom, qui ayant prétendu juger par la lecture du moment d’un travail de vingt années[2], ont prouvé à leur tour qu’ils n’avoient pas su lire. Ces objections, Messieurs, portent sur les principes des gouvernemens ; mais déjà vous m’avez prévenu.

Ne pouvant souffrir que l’auteur ait fait exclusivement de la vertu celui des républiques, de l’honneur celui des monarchies, de la cruauté celui du despotisme ; ils prétendent que tous ces principes réunis doivent se trouver dans cha-

  1. Grandeur des Romains, chap. XXII.
  2. En jetant un coup d’œil sur la préface de l’Esprit des Loix, on voit que l’auteur avoit bien prévu l’ineptie des critiques, puisqu’il croyoit vaine la prière qu’il faisoit à ses lecteurs de ne pas le juger avec précipitation. Au surplus, si on examine toutes les objections faites contre cet excellent ouvrage, on en trouvera à peine qui n’ait sa réponse directe dans l’ouvrage même.