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pain, il fit venir à grand bruit de la Hollande, de l’Angleterre, de l’Amérique, plusieurs cargaisons de farines et de grains avariés, tandis qu’il laissait passer par l’Alsace et la Lorraine nos excellents grains dans le pays de l’Empereur[1].

Le pain fait de farines gâtées avait une saveur détestable ; il s’agissait de la masquer : il était d’une[2] qualité vénéneuse ; il s’agissait d’en pallier les funestes effets. On construisit donc des moulins à bras dans l’École militaire, où se fit le mélange des mauvaises farines avec de bonnes, et d’où elles furent portées à la halle, pour être distribuées aux boulangers, comme le témoignage unanime des employés, des charretiers, des porte-sacs et des curieux ne l’a que trop appris. Mais ce qu’on refusera de croire, et ce qui n’est pas moins constant, c’est que ces malversations odieuses ne sont pas prêtes à finir.

Tant qu’on a pu prétexter le manque de blé, il a fallu, pour ne pas mourir de faim, se contenter de celui qu’on avait ; et personne n’était en droit de se plaindre. Mais depuis la moisson ; mais après la plus abondante récolte, priver les peuples des dons du ciel ! les tenir dans la disette ! leur ôter la consolation de savoir qu’ils auront du pain ! et cela pour continuer un trafic honteux, qui les réduit à la

  1. M. Necker est rentré au ministère dans le mois d’août 1768, c’est-à-dire sur la fin de la récolte. (Note de Marat)
  2. C’est contre toute vérité que les représentants de la commune, violemment suspectés de conniver avec le gouvernement, ont prétexté que ces moulins étaient établis pour occuper de pauvres ouvriers. Que la charité municipale est une belle chose ! Elle ne veut rien voir, et elle couvre tout. Ayons donc des yeux sur elle ; et s’il se peut, ouvrons ceux du public.

    C’est contre toute vérité pareillement, que les représentants de la commune ont déclaré, le 5 octobre, que le pain fait de ces farines gâtées n’était pas malfaisant : déclaration dont ils ont eux-mêmes reconnu le faux quelques jours après, en faisant jeter à la rivière une grande quantité de farines, qu’ils n’ont pas voulu vendre aux amidonniers, crainte qu’elles ne revinssent aux boulangers. (Note de Marat)