Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/107

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misère, en détruisant leur santé : voilà un de ces phénomènes réservés à l’histoire de nos jours, à l’apologie du gouvernement français, à l’éloge du ministre des finances.

Il est constant que ce pain cause des maux de gorge opiniâtres, des ardeurs d’estomac, la perte de l’appétit et des forces[1] : indispositions qui sont extrêmement communes, et qui seraient devenues extrêmement graves, sans la salubrité dont l’air a été toute l’année. Quelle infamie, bon Dieu ! que de faire une spéculation de lucre, dont tout le poids retombe sur les malheureux, par la perte de temps qu’ils sont obligés de passer chaque jour à la porte des boulangers[2], encore plus que par le haut prix du pain ! Quelle cruauté, que de réduire ainsi une infinité de pères de famille

  1. De ceux qui en ont fait leur principale nourriture, aucun n’a échappé. (Note de Marat)
  2. Un pain de sept sols ne pèse qu’une livre et demie ; c’est donc à raison de quatre sols et demi la livre. Si on y ajoute le salaire au moins d’une demi-journée perdue pour se procurer ce pain d’une livre et demie, les jours où il manque, on trouvera qu’il revient aux malheureux ouvriers à 27 ou 28 sols. Encore n’est-ce pas le petit peuple de la capitale qui a le plus souffert de la disette. La crainte des révoltes dans une ville aussi immense a toujours forcé la police d’y tenir le pain à bas prix. Aussi, lorsqu’il n’y valait que s. d. la livre, valait-il 6 et s. en province, même dans la Picardie et dans la Normandie, qui sont des pays de grains. Ainsi, tout le poids de cette honteuse spéculation tombe donc sur les pauvres. C’est pour eux pareillement que sont les plus grands dangers, réduits, comme ils le sont, à faire de pain sec leur principale nourriture. Et, pour les consoler de leur sort déplorable, la digne, la bienfaisante, la vertueuse assemblée de l’hôtel-de-ville n’a trouvé d’autre moyen que de leur tenir la bayonnette sur la gorge, en vertu d’une loi barbare, qu’elle vient d’arracher à nos timides députés. Les lâches ! si j’avais eu le droit de tonner dans le sénat national, j’aurais fait rougir mes collègues, et d’un mot replongé dans la fange le fantôme ridicule qui enchaînait leur vertu. Au demeurant, ne croyez pas que ce soit dans ce cas seul que l’administrateur des finances a sacrifié les pauvres : il est dans ses principes de toujours les immoler aux riches : nous en verrons ci-après plusieurs exemples. Suivez ses opérations, vous les trouverez toutes entachées de ce crime. (Note de Marat)