Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/134

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la terreur, la seule dont les princes sont jaloux[1]. Qu’elle soit remise un instant au monarque, c’en est fait pour jamais de la liberté ; dès ce moment reparaîtront ces inspecteurs, ces exempts, ces espions, infâmes suppôts de la police et des tribunaux, ces légions de concussionnaires et de déprédateurs, ces armées de satellites royaux. Dès ce moment, il peut disposer de la liberté, de la sûreté, de la fortune, de la vie des citoyens ; les décrets de l’assemblée nationale seront anéantis, et il ne restera à la nation d’autre fruit de ses longs et pénibles efforts, de ses combats, de ses victoires, que la cruelle nécessité d’obéir en esclave, de gémir en silence, et d’être livrée à ses tyrans. C’est donc le premier ministre lui-même, qui s’est efforcé tant de fois de la remettre aux fers, de l’enchaîner au joug de l’affreux despotisme, sous lequel elle a gémi si longtemps[2].

Un dessein de cette nature, conçu de sang-froid, calculé avec réflexion, mûri à loisir, et si souvent renouvelé, est le plus noir des attentats. Seul il suffirait pour rendre son auteur l’objet de l’exécration publique, le couvrir d’opprobre, et le faire punir comme ennemi de l’État, comme traître à la patrie. Eh ! quel est donc l’auteur atroce de cet exécrable dessein ? Un homme en qui la nation a mis toute sa confiance, un homme que le peuple a pleuré comme un père, qu’il a redemandé comme son défenseur, qu’il bénit comme son bienfaiteur, et qu’il adore comme un dieu.

  1. C’est ce qui a bien paru dans cette protestation que fit le roi, qu’il ne souffrirait pas qu’on changeât rien à son droit de disposer de l’armée, et cela dans un moment où il abandonnait toutes les autres prérogatives usurpées de la couronne. Or, rien de plus simple ; quand on a la force en main, on fait toujours ce qu’on veut. (Note de Marat)
  2. Serait-ce la crainte, la honte ou les remords qui ont porté M. Necker à s’opposer au départ du roi pour Paris ? Qui le sait : mais je sais bien qu’il a dû naître sous une heureuse étoile, pour que le bandeau de l’illusion ne soit pas déjà tombé de tous les yeux. (Note de Marat)