Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/193

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qu’ils ont produite comme pièce justificative), cherche à donner le change au public, en faisant accroire qu’ils s’étaient retirés d’eux-mêmes, et il va jusqu’à les prêcher de sacrifier leur ressentiment, si le comité des subsistances se déterminait à les rappeler. Mais une plume patriotique vient de les livrer à l’opprobre, en dévoilant, dans un mémoire très bien fait[1], le noir complot dont ils étaient la cheville ouvrière.

On voit dans ce mémoire le marché usuraire conclu par les Leleu avec le Roi, pour l’entreprise des moulins de Corbeil. On y voit ces faiseurs d’affaires s’engager de fournir annuellement à la halle, pendant six mois consécutifs, 23 000 sacs de bonne farine, du poids de 325 livres chacun, et d’avoir toujours en magasin 6 000 sacs prêts à être livrés à la première demande du lieutenant de police, sans toutefois dégarnir les marchés voisins.

On y voit le chevalier de Bussy, qui tenait en société les magasins de Beaulieu et ceux de l’Enfant-Jésus, courant les provinces pour faire, sous le nom de M. Necker, l’ap-

    profession de désintéressement au public qu’ils dépouillent, partout même désir d’assurer l’abondance au public qu’ils affament, partout même charlatanisme. Citons-en quelques passages. — « Les moulins et magasins de Corbeil n’offraient pour tout appât au spéculateur que l’intérêt de ses fonds : mais à côté d’un aussi médiocre bénéfice se trouvait la noble ambition d’être utile à sa patrie, d’assurer l’abondance dans la capitale, de combattre l’accaparement ; et les calculs de l’esprit s’évanouissent devant ceux du cœur. Nous cédâmes donc aux élans d’une effervescence patriotique ; et mon frère et moi souscrivîmes un traité avec le Roi. » — Ne croirait-on pas entendre M. Necker lui-même, donnant sa profession de foi ? Les généreux patriotes que ces frères Leleu ! Mais pour se targuer de désintéressement, du moins faut-il avoir les mains pures, et ne pas afficher une fortune de dix millions. Au demeurant, c’est le comble de l’impudence, lorsque les fripons prétendent lever boutique pour empêcher le public d’être trompé. (Note de Marat)

  1. Réplique de M. Desmoulins aux deux mémoires des sieurs Leleu. (Note de Marat)