Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/211

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sait presque tout pour le compte du gouvernement ; chose possible, mais improbable ; s’amuse-t-on à glaner quand on peut moissonner ?

Un nouveau mode d’accaparer le numéraire, pratiqué soudain par tout le Royaume, ne permet pas de douter que M. Necker, pressé de consommer ses projets, n’ait mis sur la place une énorme quantité de papier. En vertu de ses ordres, on donnait des billets de caisse pour comptant au trésor, aux barrières, à la ville ; mais on refuse de les y recevoir ; et comme si les rentrées étaient trop lentes au gré de ses désirs, ses agents vont attendre les marchands, les voituriers, les rouliers, à quelque distance des villes de commerce, pour leur proposer, avec remise, des billets contre de l’argent. Ces faits sont de notoriété publique. De quelque vernis qu’on les couvre, il est certain que l’accaparement du numéraire ne peut se faire par les agents de la caisse et des fermes, sans l’appui du ministère ; comme l’accaparement des grains ne peut se faire par les monopoleurs, sans l’appui des municipalités : il se fait donc pour le compte du gouvernement.

C’est par le moyen des agioteurs que le ministre a mis son projet à exécution. Quand on se rappelle les principes austères qu’il n’a cessé d’afficher ; quand on se rappelle le zèle avec lequel il a frondé la gestion de ses prédécesseurs ; quand on se rappelle ses sorties contre les funestes spéculations de l’agiotage ; on est un peu surpris et de l’intimité de ses liaisons et de la multiplicité de ses opérations avec les administrateurs de la caisse d’escompte : mais en réfléchissant que l’hypocrisie est un de ses traits caractéristiques, et la soif de commander sa passion dominante, on conçoit qu’un ambitieux déterminé à Paris, plutôt que d’abandonner le timon des affaires, n’est guère retenu par la crainte puérile de passer pour inconséquent. Quoi qu’il en soit, après avoir accaparé tout le numéraire et converti nos fortunes en papier sans valeur, M. Necker nous réduira donc à la cruelle nécessité de mourir de faim à