Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/23

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comme un berger est maître de ses moutons, qu’il faut faire mourir le Peuple de faim, pour qu’il les fasse vivre, qu’il faut l’aveugler pour qu’il obéisse, et que plus il est foulé, plus il est soumis. Insensés ! ils ignoraient que la patience a ses bornes, qu’une nation généreuse, lasse de souffrir, secoue toujours le joug, que les gémissements du désespoir se changent en accès de fureur, et que les cris de la liberté sont toujours prêts à sortir des feux de la sédition.

Grâces aux lumières de la Philosophie, le temps est passé, où l’homme abruti se croyait esclave. Honteux de leurs funestes maximes, les suppôts de la tyrannie gardent le silence ; de toutes parts les sages élèvent la voix, ils répètent aux Monarques, qu’en tout État, la souveraine puissance réside dans le corps de la Nation, que de lui émane toute autorité légitime, que les Princes ont été établis pour faire observer les Lois, qu’ils y sont soumis eux-mêmes, qu’ils ne règnent que par la justice, et qu’ils la doivent au dernier de leurs sujets. Vérités consolantes ! faut-il qu’on les perde si-tôt de vue dans les temps prospères, et qu’on ne s’en souvienne que dans les temps de calamité ?

Ici, quel tableau déchirant s’offre à mes regards ! Ô ma Patrie ! des vautours insatiables ont dévoré ta substance, des mains barbares ont plongé le fer dans ton sein : affaiblie par tes pertes, exténuée par le jeûne, je te vois encore couverte de blessures et baignée dans ton sang.

    féroce, que le Prince lâche à son gré sur de paisibles citoyens. Béni soit le Ciel, le jour est enfin venu où les Monarques eux-mêmes seront réduits à l’heureuse nécessité d’être les pères de leurs peuples, après en avoir été si longtemps les tyrans. Rois de la terre, renoncez désormais au pouvoir arbitraire, devenu odieux : bientôt vous ne régnerez plus que par la justice, la sagesse, la douceur. Mais quel plus glorieux empire pourriez-vous désirer, que de commander à des nations généreuses, qui se feront un devoir de vous obéir ? Comme un lion terrible qui flatte l’homme qu’il pourrait dévorer, on les verra plier leur tête sous votre joug paternel, et rendre hommage à votre Trône, qu’elles seraient maîtresses de renverser. (Note de Marat)