Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/289

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Il en est des sciences comme de la vertu, rarement les aime-t-on pour elles-mêmes ; et de fait, elles n’ont rien d’assez attrayant pour séduire, pour inspirer un goût soutenu, et le tourner en passion : aussi n’y a-t-il guère que les avantages qu’on en retire qui puissent engager à les cultiver.

Ces avantages dérivent de l’estime attachée aux succès. On croirait d’abord qu’ils se bornent à la gloire ; mais ils s’étendent à la fortune : or, si toutes deux ont des charmes, la première seule, faite pour transporter les grands hommes, touche assez peu les auteurs de nos jours. Tu l’as dit, il est rare que les hommes de génie courent après la fortune ; n’aspirant qu’à la gloire, ils tremblent que ce cher objet de leurs vœux ne leur échappe, et ils sacrifient leurs jours à s’en rendre dignes. Sans jalousie, sans intrigue, sans manège, ils ne songent pas même à répandre leurs ouvrages, à propager leurs découvertes : mais les petits auteurs, qui n’ont rien à perdre, tirent parti de tout ; sentant qu’ils n’ont aucun droit à la gloire, ils se bornent à faire du bruit pour accrocher de l’argent ; ainsi, non contents de ne mettre au jour que des erreurs ou des sottises, ils travaillent encore à empêcher que la lumière ne perce, et ils passent leur vie à faire préconiser leurs tristes productions ou à dénigrer celles des autres. Ainsi, quoique les penchants du cœur humain soient au fond les mêmes, la mesure des talents met une prodigieuse différence entre les hommes. Dans ceux à qui la nature a prodigué ses dons, les inclinations les plus nobles, l’élévation d’âme, la simplicité de mœurs, la droiture, la franchise, naissent du besoin de la gloire. Dans ceux pour qui elle a été avare de ses dons, les penchants les plus vils naissent de l’amour de l’or ; et le déguisement, l’hypocrisie, l’astuce, le charlatanisme, tristes filles de la nécessité, se sentent de leur basse origine.

Qu’en conclure ? Que les récompenses pécuniaires dont on comble aujourd’hui les académiciens, n’ont pas peu contribué à multiplier les mauvais auteurs, à en faire des intrigants.