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à ces ignorants qui veulent à toute force nous endoctriner ; mais comme la chose est impraticable, et comme personne au monde n’a même le droit d’attenter de la sorte à leur liberté, je ne vois d’autre moyen que d’ériger un tribunal sévère d’hommes instruits et d’hommes intègres, devant lequel le beau et le bon seul trouve grâces, si tant est que de tels hommes ne soient pas eux-mêmes impossibles à trouver[1].

Je t’annonçais dans ma dernière la décadence prochaine des lettres et le bouleversement des sciences, suite infaillible de la démangeaison d’écrire et du charlatanisme des auteurs en crédit. Cher Camille, ce moment est déjà arrivé ; il y a longtemps que nous n’avons plus Montesquieu, nous venons de perdre Rousseau, Buffon nous échappe. Et que nous reste-t-il aujourd’hui pour remplacer Molière, Racine, La Fontaine, Boileau, Bossuet, Fénelon ? Un Marmontel, un Lemierre, un Garat, un Beaumarchais[2] !

Et ne crois pas que nous soyons plus riches en savants ! À quelques novateurs près, qui viennent de paraître sur l’horizon, je n’en connais aucun qui ait du génie. Tristes reliquiæ Danaum.

Lettre VIII

Tu ne me laisses pas respirer avec tes questions éternelles : permets, Camille, que je te demande relâche, et que sans donner le change à ta curiosité, je la tienne quelque temps en haleine.

  1. Je vois bien un autre moyen, c’est de rendre la presse libre ; et peut-être le Français jouira-t-il, sous peu, de ce précieux avantage. (Note de Marat)
  2. À voir les fatras sortis de sa plume depuis dix ans, je parierais cent contre un qu’il n’est pas l’auteur des mémoires contre Mme de Goesman. (Note de Marat)