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Lettre IX

Je promenais ce matin au Palais-Royal avec l’Anglais. On lui avait donné rendez-vous au grand club, il m’y entraîna. J’y retrouvais l’antagonisme[1] de l’homme en habit noir, occupé à lire une gazette ; je me plaçai à côté de lui, et j’engageai la conversation. — « J’ai eu grand plaisir, lui dis-je, à vous entendre haranguer l’un de MM. de l’Académie des Sciences ; mais vous ne me paraissez pas trop de leurs amis. » — Je leur rends la justice qu’ils méritent ; je n’ai rien contre eux personnellement, depuis que Jean-Rond[2] n’est plus[3]. — « Eh ! que vous a fait ce Jean-Rond ? » — Ce qu’il m’a fait ? Un mal dont mon cœur gémit encore. Ligué avec Voltaire, Diderot, La Harpe, Marmontel, etc., ce lâche diffamateur m’a enlevé mon ami, mon maître, Rousseau, le plus grand homme qu’aurait produit le siècle, si Montesquieu n’eût pas existé. Offusqués de l’éclat de son génie, ils se sont étudiés à le tourmenter tant qu’il a vécu, ils l’ont fait mourir de douleur, et ils ont cherché à ternir sa réputation après sa mort. — Je connais, lui dis-je, la Genéviade de Voltaire, la Lettre de d’Alembert à Rousseau, le philosophe J.-J. de Marmontel, et les notes de la vie de Sénèque par Diderot, écrits pleins de fiel et dictés par l’envie : le public ne les a vu paraître qu’avec indignation, et ils auraient suffi pour couvrir d’opprobre leurs auteurs, s’ils avaient eu quelque chose à perdre. Mais détrompez-vous, ils n’ont porté aucune atteinte à la réputation de Rousseau ; elle va

  1. Il faut évidemment lire antagoniste.
  2. Il s’agit de d’Alembert, dont le nom exact était Jean le Rond, parce qu’il fut recueilli sur les marches de l’église de Saint-Jean-le-Rond.
  3. D’Alembert était mort en 1783.