Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/348

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Né dans cette classe heureuse, la seule où sous l’ancien régime se conserva le feu sacré de la vertu ; dans cette classe où, à l’abri des tentations de la pauvreté, on pouvait se passer des ressources de l’intrigue, une éducation soignée fut un des biens les plus précieux que m’a transmis une mère adorée. Idolâtre à l’excès de la liberté et ennemi de l’intrigue dès l’âge le plus tendre, ces dispositions m’éloignèrent également des emplois où il fallait sacrifier l’une ou employer l’autre. Il fallait cependant être quelque chose, c’était la manie du siècle : on acheta pour moi, dans la maison de la ci-devant comtesse d’Artois, une charge qui me forçait à surveiller les opérations financières des grands seigneurs.

Avec du caractère et de la probité, je ne pouvais tarder à devenir un surveillant très incommode. Me renvoyer était cependant difficile ; on supprima la charge que j’occupais, et en me remerciant de mes services, on me combla de brevets d’honneur et de pension.

Père de famille à cette époque, parfaitement indépendant du côté de la fortune, l’éducation de mes enfants, l’étude des sciences naturelles et de la philosophie employèrent tous mes instants jusqu’en 1788, que la déroute d’une maison de banque alliée à la famille de mon épouse, entraînant quelque désordre dans mes affaires personnelles, me força à passer en Brabant et en Angleterre pour recueillir les débris de ma fortune prête à s’échapper. Ce fut dans ce moment que le fugitif d’Artois, passant par le Brabant, me fit des offres les plus brillantes pour m’attacher à l’éducation de ses enfants. L’amour de mon pays, la haine que je portais toujours aux grands, dictèrent mon refus et déterminèrent la remise que je fis alors des brevets d’honneur et de pension auxquels je renonçai à cette époque.

De retour en France en 1790, mon premier devoir fut de partager avec mes concitoyens les travaux de la révolution dans la garde nationale, sans vouloir profiter des avantages qui tenaient à la division des citoyens en deux classes.