Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/44

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des hommes assez courageux et assez généreux pour les rendre publiques ? Il importe donc que la Presse soit libre. Troisième loi fondamentale du royaume.

Ici j’entends les suppôts du despotisme, du charlatanisme et de la licence, s’élever contre une loi qu’ils redoutent. Pour confondre leurs clameurs, je ne leur opposerai qu’un simple parallèle.

C’est que la France, où l’on ne peut, sans la permission du directeur de la Librairie, et sans l’approbation d’un Censeur, imprimer qu’il fait jour en plein midi, est, de tous les pays du monde, celui où l’on abuse le plus de la presse. Quelle multitude de livres obscènes n’en sortent pas clandestinement chaque jour ! Chose bien rare en Angleterre, où l’on imprime librement tout ce qu’on veut, et si rare, que Londres fournit à peine une seule de ces viles productions, contre cent qui éclosent à Paris.

En France, la Presse n’est pas seulement un instrument de scandale, elle devient aussi un instrument de diffamation dans la main des méchants. Voyez cette multitude de libelles révoltants qui circulent sans cesse dans le public, et où l’on n’épargne ni le trône, ni le mérite, ni la vertu. Abus sans exemple en Angleterre, où les écrits anonymes ne font aucune impression, où la calomnie avérée est toujours punie, et où chacun peut attaquer ouvertement ses ennemis[1], quand il a pour lui la vérité constatée par des preuves.

  1. Le dernier des Anglais a-t-il à se plaindre de quelqu’un, et ce quelqu’un fût-il un homme puissant, un Ministre, un Monarque ? Les tribunaux lui sont ouverts, et il obtient justice. Mais, comme il faut s’y renfermer dans le simple exposé des faits à l’appui de l’accusation, s’il croit tirer meilleur parti d’un Mémoire sanglant, où la raison s’arme des traits du ridicule, il le fait imprimer ; puis, avant de le jeter dans le public, il en adresse un exemplaire à sa partie adverse, avec une lettre qui contient les conditions auxquelles il attache le sacrifice de l’édition entière : moyen qui n’a jamais manqué de produire son effet. Or, la calomnie étant toujours réprimée chez les Anglais, ces Mémoires ne dégénèrent pas en libelles. (Note de Marat)