Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/59

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Que faut-il donc pour cimenter la félicité publique ? Trois choses : aux sujets des droits sacrés, à l’État des lois inflexibles, au gouvernement des barrières insurmontables ; et comment réussir à leur en donner, si la Nation n’a en main le pouvoir de corriger les abus, si elle ne prend soin elle-même d’assurer son repos, et de veiller à son bonheur ? Il faut donc à la France un Conseil national, revêtu de la souveraine puissance, et (pour tout dire en peu de mots) une constitution sage, juste et libre, au lieu d’un gouvernement absolu.

Tels sont les moyens que j’ai osé proposer, comme les seuls efficaces : en vain aurait-on recours à tout autre, une triste expérience en démontrerait bientôt l’insuffisance et l’inutilité. Quant à l’exécution, je le sens trop, l’entreprise est aussi difficile qu’elle est noble et hardie : mais avec de la sagesse et du courage on surmonte les plus grandes difficultés.

Ce plan de réforme, j’en conviens, pourrait occasionner quelques commotions à la machine politique ; aussi est-il peu du goût de ces citadins imprudents qui ont aventuré toute leur fortune sur la foi du Prince, de ces hommes timides qui tremblent de compromettre leur repos, et de ces lâches égoïstes qui ne veulent que jouir en paix des douceurs de la vie. Pleins de patience pour les maux du peuple qu’ils ne ressentent point, ils ne prêchent que la résignation ; et trouvant toujours dans les calamités publiques matière à leurs vains discours, ils clabaudent contre toute mesure énergique propre à régénérer l’État, ils proposent mille petits tempéraments, et ils s’efforcent de sacrifier la Nation à leurs vues pusillanimes.

Chercher à ramener les esprits est toujours une tentative louable ; mais se flatter de réussir est souvent le rêve d’un homme de bien. Comment se le dissimuler ? Les intérêts des Compagnies, des Corps, des Ordres privilégiés, sont inconciliables avec les intérêts du peuple ; c’est sur l’abaissement, l’oppression, l’avilissement et le malheur de