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dufort de cheverny

vaient être aussi pénibles à subir qu’elles ont été plaisantes à raconter.

Dufort se soumet toujours. Il lutte cependant pour défendre son château, et dans sa lutte il est soutenu par toute la province, qui était fière de ce monument et qui trouvait fort mauvais qu’on prétendit le détruire ou le mutiler. Il parvient à sauver une ancienne cloche, des lanternes de plomb, des grilles de fer, que, sans égard pour leur cachet artistique, le vandalisme révolutionnaire prétendait envoyer à la fonderie. Il sauve aussi les statues d’empereurs romains qui décorent le parc, en expliquant que ce sont des philosophes grecs sans-culottes. En somme, les armoiries sculptées et les parchemins furent seuls détruits.

Mais la possession d’une demeure seigneuriale était par elle-même un danger. Jadis le Romain proscrit par Marius avait pu s’écrier en mourant : « Ô ma villa d’Albe, c’est toi qui m’as perdu » ! Les révolutions sont toutes les mêmes, et quelques mois après la Terreur un représentant en mission qui connaissait bien ses contemporains, arrivant en visite à Cheverny, dit avec surprise à Dufort : « Comment ! ceci est à vous et vous vivez encore ! » (II. 253). Si Dufort vivait encore, c’était par hasard ; Hézine, le procureur du district, avait déclaré un jour que « ce château était trop beau et qu’il l’offusquerait jusqu’à ce qu’il fût à la Nation » (II. 201).