Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
le charme de l’histoire

Bientôt une dénonciation, dont Dufort ne connut la teneur que longtemps après sa sortie de prison, le signala au Comité de Salut public comme « habitant son château où les insignes féodaux existaient encore », et comme « parent d’émigrés et d’hommes poursuivis par les lois » (II. 239).

L’ordre d’arrestation arrive de Paris et est apporté cacheté à un sans-culotte de Cour. Celui-ci croit d’abord que c’est lui qu’on vient arrêter et il commence par trembler. Puis, rassuré et radieux, il accourt chez le seigneur, se fait ouvrir toutes les armoires, sons prétexte de mettre les scellés, se plaint d’y voir trop peu de linge, et s’écrie : « S’il est caché, nous saurons bien le retrouver ! » (II. 203). Puis il prie Dufort de rédiger le procès-verbal, qu’il est incapable de rédiger lui-même.

Dufort était averti depuis plusieurs jours, mis il n’avait pas voulu fuir. « Je m’étais préparé une retraite où j’aurais pu vivre déguisé ; je dédaigne de m’en servir. La vie d’un proscrit qui se cache est pire que la mort » (II. 201). Pour quitter Cheverny, comme pour entrer en prison, il devance l’heure qui lui est fixée, tant l’incertitude lui est cruelle. Il part avec sa femme, dans sa berline : à quatre chevaux et deux postillons, suivi de loin, comme au temps de ses grandeurs, par les gendarmes respectueux. « Quand nous passâmes dans les deux bourgs, écrit-il, tous pleuraient ou se