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dufort de cheverny

étaient morts ou émigrés » (II. 263 et 343). Le jour, les rues sont troublées par des émeutes ou par des rixes entre les anciens terroristes et leurs adversaires ; le soir, elles ne sont pas sûres. Dans les théâtres on chante le Réveil du peuple ; on joue des pièces dirigées contre les buveurs de sang, et on se bat dans la salle. Dufort va à l’Opéra assister à la rentrée de Lays, chanteur jadis aimé du public ; mais Lays a été terroriste[1] ; sa présence soulève une tempête ; dans toutes les loges les femmes agitent leurs mouchoirs pour lui faire signe de se retirer ; il est forcé de quitter la scène (II. 257). La vie matérielle elle-même est difficile à Paris. Le pain qu’on y mange tient au couteau, comme s’il eût été fait de sarrasin, et Sedaine, chez qui Dufort est venu loger comme autrefois, lui déclare que, malgré son aisance, il serait mort de faim sans les victuailles qu’on avait eu la bonne pensée de lui envoyer de Cheverny (II. 256). On ne peut séjourner à Paris qu’avec un permis qui linüte là durée du séjour ; il faut demander ce permis à sa section et le faire viser par le Comité de Sûreté générale, avec l’assistance de deux répondants ; Dufort prend pour cautions, avec son ami Sedaine, les deux sculpteurs

  1. Ce fut le même Lays qui, en 1814, chanta à l’Opéra, devant les souverains alliés, l’air de Vive Henri IV, avec des paroles arrangées pour la circonstance :
    « Vive Guillaume
    Et ses guerriers vaillants ? Etc.