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dufort de cheverny

pèsent sur cette partie de la République. Le prétexte est l’assassinat du nommé Leroy, commissaire du pouvoir exécutif, homme affreux et dont on ne pouvait se débarrasser autrement » (II. 39.5). Qu’elles soient ironiques ou non, ces phrases échappées à un homme éclairé et doux, qui ne se contente pas de les dire dans une boutade, mais qui les écrit dans des notes destinées à lui survivre, permettent de juger à quel désordre moral peuvent être conduites des âmes plus simples et moins cultivées, quand elles voient le gouvernement, au lieu de remplir son rôle de protection sociale, donner l’exemple de la déloyauté légale et de la violence, et choisir, pour leur confier l’autorité sur les citoyens, des hommes déshonorés.

Sans doute, quand il a relu les dernières lignes que nous venons de transcrire, Dufort les a lui-même jugées trop amères, car le lendemain, 28 février 1799, il reprend la plume et commence ainsi : « Il faudrait avoir une grande dose de philosophie ou de stoïcisme, s’isoler, ne lire aucun » journal, n’entendre aucune nouvelle. L’âme est froissée, le cœur navré, en lisant journellement les exécutions des conscrits, des émigrés, et en voyant les déportés qui passent continuellement par cette ville et devant ma porte… Sur ces listes de morts on couche tous ceux qui déplaisent au gouvernement » (II. 395).