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le charme de l’histoire

font les grands ministres : l’intelligence étendue, l’instruction profonde, la puissance de travail, l’inébranlable fermeté du caractère ; « sa fidélité, dit-il, était incorruptible, car les passions qui rendent les hommes dépendants de leurs semblables n’avaient aucun pouvoir sur son âme ». L’histoire n’a pas désavoué ce magnifique éloge ; cependant elle est peu sympathique au cardinal. Un dernier trait, que Schiller ajoute comme un éloge encore, explique peut-être ce jugement de la postérité : « Granvelle, dit-il, pénétrait avec sagacité le caractère de son maître ; il avait l’art de descendre au niveau de cet esprit médiocre ; de faire éclore dans cette âme lente et indécise des pensées dont le germe était à peine formé et dont il lui abandonnait la gloire. Il savait rendre son génie esclave d’un autre homme ! » Ainsi, avec ses facultés puissantes, Granvelle n’aurait été que l’instrument soumis et résigné d’un prince à l’esprit étroit et cruel. Pendant qu’il avait dans les Pays-Bas une autorité qui semblait faire de lui le souverain en second de ces provinces, les Flandres ont été troublées par des persécutions odieuses, par une politique despotique et violente. Il en porte la responsabilité, et, s’il a été souvent comparé à Richelieu, ce rapprochement semble moins un hommage au génie de l’homme d’État qu’un souvenir du sang versé par un ministre à la robe rouge.