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les contes de perrault

nous prémunir sont ceux qui nous nuisent, plutôt que ceux qui nuisent à autrui.

De plus, échos fidèles de l’instinct qui anime le paysan vis-à-vis du seigneur (nous dirions aujourd’hui vis-à-vis du bourgeois), quand le grand est dépouillé ou mystifié par le petit, les contes ou les fables applaudissent. Voyez comment le marquis de Carabas hérite de l’ogre. Cet ogre n’est nullement un méchant homme. Il a des amis ; il reçoit très poliment le chat et ne lui fait aucun mal. Mais il est « le plus riche que l’on ait jamais vu ! » Dès lors, il est condamné ; le conte en fait un ogre afin que nous puissions sans scrupules voir le chat le manger et le meunier s’emparer de ses biens.

Aussi Perrault, qui désirait que dans ses contes la morale fût démontrée par l’événement, a-t-il dû plus d’une fois corriger le récit traditionnel. Il a fait probablement sur bien des points des changements que nous n’apercevons pas ; mais quelquefois la trace de l’interpolation est visible. Parfois même il a placé, à côté l’un de l’autre, le récit primitif et le sien. La comparaison est alors intéressante ; elle montre comment l’homme de lettres a remplacé la naïveté par la finesse, la brutalité par la malice et la bonhomie.

C’est ainsi que le Petit Poucet prend à l’ogre ses bottes de sept lieues. Ceci est légitime, puisque l’ogre s’en servait pour courir après les petits en-