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fants. Mais il va ensuite trouver la femme de l’ogre, et il se fait donner par elle tout son or et tout son argent, en lui racontant que son mari a été arrêté par des voleurs et l’a envoyé chercher une rançon. Alors, « chargé de toutes les richesses de l’ogre, il s’en revient au logis de son père, où il est reçu avec bien de la joie ». Voilà ce qu’a imaginé le conteur populaire ! Perrault rapporte l’ancienne tradition, mais il n’hésite pas à déclarer qu’un procédé qui serait un véritable vol est invraisemblable de la part d’un personnage aussi honnête que son petit héros. À ce dénouement il en substitue un autre. Laissant de côté les paysans, leurs sentiments et le monde imaginaire où la fiction a entraîné le lecteur, il se transporte tout à coup dans une sphère bien différente : il fait allusion à la guerre alors engagée sur la frontière, à l’inquiétude du roi « fort en peine d’une armée qui venait de livrer bataille à deux cents lieues de là », au désir des dames de la cour d’avoir des nouvelles de leurs amants, et même, ajoute-t-il, de leurs maris. Puis il termine par ce trait auquel le conteur primitif n’aurait jamais songé : « Le Petit Poucet, ayant fait quelque temps le métier de courrier et y ayant amassé beaucoup de bien, acheta des offices de création nouvelle pour son père et pour ses frères, et par là il les établit tous et fit parfaitement sa cour en même temps »[1].

  1. De même, la femme de Barbe bleue, délivrée par ses