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le charme de l’histoire

misères qu’entraînent les vicissitudes si fréquentes dans notre existence de travail et de luxe, de jouissances hâtives et de risques imprudemment courus. La pauvreté succédant à la richesse, n’est-ce pas le spectacle poignant que nous avons chaque jour sous les yeux ? Et les conséquences d’un changement de fortune ne sont-elles pas plus graves parmi nous qu’elles ne pouvaient l’être parmi les grands seigneurs pour lesquels était écrit le Livre des maximes ? Qu’un La Rochefoucauld tombât en disgrâce, qu’il perdit par quelque revers du sort les biens dont les hasards de la guerre ou la faveur des rois avaient enrichi ses ancêtres, il n’en conservait pas moins et il transmettait à ses enfants ce que rien ne pouvait lui enlever : son nom, son rang, son épée, tout ce qui faisait son prestige ; il restait duc de La Rochefoucauld. Que reste-t-il à un bourgeois de nos jours quand il perd son argent· ? L’homme qui avait su conquérir l’aisance et qui n’a pas su la conserver trouve à peine, à la fin de sa vie, le moyen de gagner péniblement son pain ; le renom de probité qu’il a peut-être la consolation de léguer à ses enfants ne suffira pas pour les aider à se relever. La ruine leur impose des privations matérielles pénibles, car, comme le dit la Comtesse Diane, « On s’accoutume à tout ce qu’on a, jamais à ce qu’on n’a plus » (94). Elle lui impose aussi des souffrances morales bien autrement douloureuses « Il est difficile aux gran-