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la rochefoucauld et la comtesse diane

simplement parce que « nous sommes sensible à tout ce qui lui arrive et à tout ce qui vient de lui » (11). Nous souffrirons de la nature elle-même et de l’infranchissable barrière qu’elle oppose à la fusion intime des âmes les plus étroitement unies. Sully-Prudhomme, dans une de ses plus touchantes Solitudes, s’écrie, en s’adressant aux étoiles de la Voie lactée :

…Vous ressemblez à nos âmes !
Ainsi que vous chacune luit
Loin des sœurs qui semblent près d’elle,
Et la solitaire immortelle
Brûle en silence dans la nuit.

La Comtesse Diane a compris à son tour cet inévitable tourment des âmes aimantes : « Ce qu’on dit à l’être à qui l’on dit tout n’est pas la moitié de ce qu’on lui cache » (43). — « Jamais nous ne disons notre pensée jusqu’à la lie ; jamais nous ne sommes sûrs de pénétrer jusqu’au fond d’une autre âme, Nous sommes seuls au monde » (223).

Oui, même pendant qu’il se sent partagé, l’amour fait souffrir parce que, plus il est heureux, plus il est insatiable. Plus l’amant se sent aimé, plus il voudrait étreindre l’âme et le cœur de l’être qu’il aime, pour ne faire avec lui qu’un cœur et qu’une âme. Ce désir est si intense que le rêve de tous les amants est de mourir ensemble, endormis dans l’ivresse de leur bonheur.