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granvelle aux pays-bas

pour sa dignité. Ce langage, il ne le tenait pas seulement dans ses dépêches officielles, mais dans ses lettres intimes à ses amis ; ce n’était donc pas des opinions d’apparat ; c’étaient les sentiments véritables d’une grande âme que Schiller a justement caractérisée, qui jugeait froidement les hommes, et qui restait sans haine devant ses plus cruels ennemis. Lorsque enfin il quitta Bruxelles, ce ne fut pas, comme on l’avait cru jusqu’à présent, par découragement ou par peur ; ce fut sur l’ordre exprès et secret de Philippe. Ici, les archives espagnoles ont révélé un fait imprévu et curieux : l’impérieux despote finit par reculer devant l’attitude et les fières réclamations de ses sujets ; obéissant, lui aussi, à cette fiction constitutionnelle qui semble vraiment être dans la nature des choses, il sacrifia son ministre pour rester souverain. Mais il ne voulut pas qu’on se doutât qu’il était vaincu. Afin de cacher sa défaite en attendant qu’il pût la venger, il prescrivit à Granvelle de prétexter un voyage et de lui demander un congé pour aller voir sa mère en Franche-Comté ! Granvelle obéit ; il partit et garda religieusement le silence. Il le garda si bien que ce ne fut ni par lui de son vivant, ni après lui par ses volumineux Papiers d’État que le secret finit par être connu ; ce fut trois cents ans plus tard, quand les Archives royales de Simancas s’ouvrirent enfin, et qu’on put y lire la correspondance de Philippe II.