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granvelle aux pays-bas

Pays-Bas pendant son ministère. Il a déconseillé, mais il a fini par exécuter des mesures qu’il jugeait odieuses et funestes, qui ont ensanglanté les Flandres et qui en ont amené la perte pour l’Espagne. Le ministre qui, par faiblesse ou par ambition, ne sait pas « contredire jusqu’à se faire briser », qui, après avoir parlé, plie et obéit à une politique qu’il réprouve, n’est-il pas aussi coupable, peut-être même moralement plus coupable, que celui qui, du moins, est sincère dans sa passion ou dans son erreur ? La faiblesse cause dans ce monde plus de maux encore que la méchanceté ; aussi n’est-elle jamais une justification, surtout pour celui qui prétend au redoutable honneur de gouverner les hommes. Agir « la mort dans l’âme », n’est pas plus la morale des forts que l’excuse des faibles. Peut-être dans un autre siècle, au milieu d’un autre courant d’idées, la haute intelligence de Granvelle, son inébranlable fermeté, son élévation morale, auraient-elles fait de lui un ministre plus indépendant, plus fier et plus maître de sa politique personnelle, plus digne d’être comparé à Richelieu. Mais, quel que soit le sentiment qui l’a inspiré : dévouement loyal pour la personne et les droits de son maître ou soumission trop étroite aux préjugés de son siècle, Granvelle a consenti à couvrir Philippe II ; en le jugeant responsable, l’histoire l’a traité comme il a mérité, comme il a d’avance accepté de l’être.