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le charme de l’histoire

ble démocratie. Cela ne veut pas dire pourtant que cette élite lettrée se renfermât exclusivement dans ce qui était alors la société politique ou mondaine, et que parmi la foule obscure et ignorée tout fût ignorance ; Dubuisson lui-même en est la preuve ; ce modeste commissaire au Châtelet, lisait tout, appréciait la valeur littéraire de chaque ouvrage, relevait des erreurs dans une histoire des Empereurs romains de la décadence et savait formuler ses jugements en des lettres qui nous plaisent encore après 150 ans. Mais cette élite lettrée prétendait lire tout ce qui s’imprimait, jusqu’aux mandements des Évêques et aux mémoires des Avocats. Le temps ne lui manquait pas ; la presse, cet emporte-pièce quotidien, comme l’appelle si justement le Père Gratry, ne prenait pas à nos pères une ou deux de leurs meilleures heures et ne leur avait pas donné l’habitude de lire en diagonale, uniquement pour savoir de quel sujet parle l’auteur. La plus grande difficulté était de se procurer des livres ; beaucoup s’imprimaient à l’étranger ou circulaient en manuscrit ; la poste même n’était pas sûre, et Dubuisson nous rend confidents des efforts auxquels il était condamné pour faire parvenir à son noble correspondant les ouvrages qu’il jugeait dignes de lui être envoyés. Ce u’était pas dans les journaux que l’on allait alors chercher les nouvelles ; c’était dans les salons, dans les couloirs des théâtres, dans les cafés,