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Page:Marc de Montifaud Sabine 1882.djvu/116

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sabine

gros bas bleus à l’idée trop svelte ou trop fringante, et lui taillait de bonnes doubles semelles afin qu’elle marchât lourdement et posément. C’était un peu une maîtresse de pension retirée recevant le soir les parents de ses élèves, tout en laissant percer le bout de sa férule emmanchée dans son éventail.

On aurait pu la caractériser ainsi : une tête de modèle appliquée sur le marbre aux lignes roides d’une cheminée style Directoire. Sa lèvre restait incassable au pli d’un sourire. Heureuse de n’avoir pas d’inquiétude, pas de rumeur d’esprit ; incapable de vivre en tête à tête en face d’une chimère, grâce à son esprit calculateur, la citoyenne Barras, comme on disait, battait alors dans son plein, et sa phrase habilement surveillée n’évoluait qu’en répondant au qui vive de la prudence. Ses yeux avaient appris à fasciner le million que lui léguait en mourant le fonctionnaire avec lequel elle cohabitait déjà du vivant de son premier mari. Ce mari, auquel elle fit donner un poste à l’étranger par son amant, consentit à s’arranger de l’existence assez douce qu’on lui organisait ainsi en raison de son éloignement et de son silence. Lorsqu’il mourut, la future Mécénia régularisant sa position épousait le fonctionnaire en question ; elle se trouvait veuve, une seconde fois, en 1877 ; à ce moment son salon commençait à naître.

Ambitieuse, plutôt que jouisseuse, Mme Abel apportait ses instincts de bureaucratie, de maîtresse de