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Page:Marc de Montifaud Sabine 1882.djvu/119

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sabine

patron payait en durs propos, en remarques désobligeantes, devant lesquels on la forçait à sourire sous peine de se voir montrer la porte ou de la prendre elle-même. Mais Mécénia était douée de la volonté fixe du sectateur qui aspire à être Église ou de l’homme de lettres qui veut être chef d’école. Le compérage politique lui devenait nécessaire pour exister : si elle n’eût pas ajouté une virgule, ou retranché un quart de phrase aux discours de Barras, elle n’eût pas vécu. En échange de la complaisance du président lui permettant de relire l’après-midi ce qu’il avait ébauché la veille, elle supportait tout. Entrée le matin dans son cabinet en surprenant une pointe d’impertinence chez les valets, elle ressortait avec la satisfaction de les voir à nouveau courbés sur son passage. Aussi cette organisation opulente, travaillée par les instincts d’une santé robuste, créait comme résultante une nature dominatrice, aimant à tenir dans ses doigts les intrigues de palais, pour en débrouiller les fils, et donner cours à ses besoins de patronage qui l’amenaient à protéger jusqu’aux médiocrités !

Mme Barras était habillée ce soir-là d’une robe de satin noir, au corsage illuminé d’un réseau de dentelles rousses ; un cercle d’or de deux pouces de largeur passait dans ses cheveux blond-vif, comme un diadème classique. En la regardant marcher, on voyait qu’il n’existait pas un pli de son costume qui ne roulât une ambition, pas un jeu de ses muscles qui ne craquât sous un instinct non satisfait, pas