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Page:Marc de Montifaud Sabine 1882.djvu/145

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sabine

filet de sang sur l’acier vierge. Son orgueilleuse indifférence, sa tranquillité devant le luxe tapageur de ses voisins, la simplicité de sa mise, deux ou trois paroles vertement prononcées la désignaient à la vindicte publique. Un jour qu’elle visitait une propriété nouvellement achetée, le propriétaire, gros horticulteur, boursoufflé de ses écus, ne lui faisait pas grâce d’un coin de son domaine. Sa femme avait jugé à propos d’endosser une robe de moire antique pour traverser les allées de son potager et, pendant le trajet, accablait Sabine de la description d’une salle à manger de cinquante couverts, couvrant d’un regard protecteur la toilette relativement modeste de sa visiteuse. En ce moment on traversait un long carré de fraisiers.

— N’aimez-vous pas les fraises, Madame ? lui demanda l’horticulteur femelle millionnaire, d’un ton bonhomme.

— Je les aime beaucoup, au contraire.

— Eh mais, il ne tient qu’à vous d’en prendre !

— Je vous rends grâce, Madame, lui repartit tranquillement Mme Raimbaut, mais comme il faudrait me baisser pour les cueillir, et que je suis très hautaine, je préfère m’en passer.

Elle avait alors toisé la robe de cinq cents francs de la parvenue, du haut de ses six mètres de foulard gris, d’un air significatif qui voulait dire : — La richesse ne me déplaît pas ; je mordrais assez volontiers aux pièces de cent sous, mais je ne me courberais point afin d’en ramasser dans la poussière d’une route.