Page:Marc de Montifaud Sabine 1882.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

195
sabine

il sentait à la nuque une barre douloureuse ; voulant se donner une sensation de mouvement, il marcha vers le foyer et y jeta des bûches, qu’il piétina. En face du meuble où Duvicquet restait assis, un grand panneau de bois représentait le portrait d’Arroukba protégé par un store glissant sur des tringles, et fait de deux morceaux d’étoffe s’ouvrant de chaque côté. Ainsi disposé, le visage oriental gardait une puissance de recul étonnante, car il apparaissait dans l’écartement du store comme s’il sortait de la muraille. Les yeux noircissaient encore sous le front lumineux, et aucune figure de l’atelier n’inspirait une songerie aussi persistante que celle qui jaillissait d’entre ces plis qui prenaient alors quelque chose de mystérieux, comme si des doigts invisibles les écartaient momentanément. C’était sans contredit une des meilleures toiles du peintre que celle qu’il laissait accrochée à cet endroit. Souvent, levé de très bonne heure, il aimait à la regarder dans ce glaçage naturel que frappent dans le modelé les premiers rayons du matin. Dès que surgissait un importun, ou selon que le peintre était bien ou mal disposé, il l’envoilait de nouveau. Ce soir-là il la regardait à peine ; il lui semblait que de ces lèvres qui paraissaient contenir la pourpre d’un véritable sang, allaient s’échapper quelques notes du langage bizarre d’Arroukba ; il tressaillait, tant le gonflement de la joue offrait une découpure parlante, tant la tension du front accusait un veiné expressif, tant l’entr’ouvrement de la bouche correspondait au