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sabine


XII


Il est seul dans l’atelier ; la nuit d’un soir pluvieux d’avril est tombée très vite ; la forme de l’épouvante, qu’épousent les bras repliés sur la tête, se traduit ainsi chez lui d’une façon palpable. C’est un fait physiologique que certaines pensées appellent l’obscurité, et ne s’envolutent dans l’esprit d’une façon précise qu’à l’heure des ténèbres. La douleur, s’engouffrant en l’âme du peintre, y mettait les moindres endroits à vif. Dans l’immobilité des objets, il survient parfois qu’on en prend le néant ; mais le roulement d’une voiture se fait-il entendre ? le choc d’une branche contre la vitre a-t-il résonné ? on dirait que l’action moléculaire des choses se mêle à notre économie vitale. Soudain ce qui dormait en nous se reprend à vivre, et l’atrocité du souvenir à nous hanter. Le peintre arrivait à ne plus oser remuer, et son sang roulait tous les sucs de l’angoisse à force de se l’être assimilée.

Cette provision d’horreur qu’entasse le crime chez certains êtres qui ne sont pas constitués pour le commettre emplissait son individu ; ses cils se rebroussaient et ses cheveux restaient plantés droits ;