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sabine

t’emporterai au pays de ta mère, loin des fourbes européennes. Je t’emporterai…

— Tu ne m’emporteras pas, interrompit-elle. Je ne veux point de ton Orient ; c’est à Paris que je veux vivre !

— Jure-moi alors que tu consentiras à y être heureuse, que cela ne sera pas irréalisable, répéta-t-il en la suppliant.

— Heureuse ! Est-ce que cela sera jamais ? Est-ce que tu en trouveras les moyens ? As-tu jamais compris l’existence autrement que devant ton chevalet, dans tes conceptions purement idéales qui sont ta pâture à toi, c’est admissible, mais qui ne m’empêcheront pas de me traîner languissante, puisque tes œuvres ne me donneront jamais le seul bien enviable : la fortune, — la fortune immense, triomphatrice, en l’absence de laquelle on fait mieux de se taire, entends-tu, que de croire possible de lui substituer l’amour ?…

Et, comme il détournait les yeux afin que Sabine ne vît pas son désespoir, elle lui noua fébrilement ses bras autour du cou.

— L’argent, continua-t-elle, l’argent ! ô mon ami ! ô mon père ! Sais-tu ce que c’est que ce métal dont tu souris ? C’est le salut qui m’a été refusé il y a une heure, la honte qui m’a été jetée, le mépris qu’on est en train de dissoudre dans les moindres paroles qui vont m’atteindre. C’est ma vie en lambeaux, et ma chair en pâture aux bourgeoises. C’est l’éloignement de chacun pour demain. C’est la flétrissure éternelle. C’est