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Page:Marc de Montifaud Sabine 1882.djvu/223

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sabine

il revint dans la pièce précédente et rentra dans le salon carré. En face de lui se montrait justement la Descente de croix d’Annibal Carrache.

La poitrine d’une des femmes se tendait dans une ardeur charnelle, du baiser dont elle eût souhaité s’assouvir sur les membres tant de fois caressés de l’auguste victime, pendant que les yeux des autres personnages s’attachaient aux plaies du supplicié ; mais, soudain, le noir des tons cadavériques envahit la portion centrale de la Descente de croix ; la figure du Christ s’effaça : il ne resta dans le tableau que les spectres des nocturnes ensevelisseuses, qui poussaient un râle strident d’amour. — Henri se sentit envahi d’une nervosité subite ; la prunelle vaguement inquiète d’une tête de Van Dick le suivait à distance, et le repoussait dans le disque funèbre des acteurs de Carrache.

C’en était trop ; il déposa sa lampe à terre, et s’assit au milieu de la banquette disposée devant les Noces de Cana de Véronèse.

Les deux musiciens qui, debout près des buveurs vénitiens, jouent du téorbe, paraissaient faire résonner leurs instruments en sourdine. Ils chantaient l’éternel asservissement de la femme, l’insatiable désir. Ils disaient comment les grands enivrements de l’amour puissant et fort les avaient amenés à conquérir la souveraineté de l’art, par la soif que nous avons de la beauté. Grisé de sons et de couleur, Duvicquet entrait dans une contemplation cataleptique :