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prologue

L’eunuque remarqua cependant que la prétendue étrangère roulait des yeux aux mouvements assez bizarres et qu’elle s’aventurait de trop près au bord de certains détails. Cela finit par taquiner ce nègre, qui se grattait la joue d’une façon inquiétante. Mme de Lupan, qui ne perdait pas de vue Duvicquet, lui lança deux ou trois phrases en anglais qui le rappelèrent au sentiment de sa situation. Les femmes, encore à demi vêtues, oubliant toute étiquette en présence de Mme de Lupan et de sa compagne, passèrent des pantalons bouffants, et une espèce de peignoir en crêpe, comme celui qu’on décrit d’ordinaire parmi les vêtements féminins d’Orient.

On se rendit dans une galerie voisine, où l’on but le moka absolument brûlant. Voulant effacer le soupçon dans l’esprit de la valetaille, le peintre s’assit au piano — un horrible piano aux sons fêlés — et joua des polkas à grande volée. La gent égyptienne hurla de plaisir. Le noir gardien remua à travers son troupeau de jolies bêtes le velours de ses yeux, et la femme de Sidi Mohammed fit courir sur les cordes vocales de son gosier comme un miaulement de chatte sauvage en ébriété amoureuse.

Cela retentit comme un signal. La troupe entière, familiarisée, au son de la musique parisienne, se dressa d’un mouvement spontané. Sous l’effet de la chaleur, l’odeur fauve des couvertures en peaux de bêtes saisissait à la gorge ; un frisson d’animalité gagna dans leur tournoiement ces lourdes croupes