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séjour de privilégiés. Il s’y trouvait un arbre de Judée d’une coupe particulière, qui semblait se hausser, et, de ses branches effeuillées par l’automne, frappait de temps en temps la vitre comme avec des doigts. Une seule lampe, placée au milieu du guéridon, projetait un cercle de jour duquel Sabine affectait de se retirer, — ce qui conservait à sa tête fine, un peu inquiétante d’expression, une grande douceur d’estompage. Les sièges se différenciaient les uns des autres ; deux ou trois chaises volantes, au dossier terminé en pointe et busqué comme un corsage féminin, se pressaient contre ce meuble du temps de la Restauration appelé « ganache », le meuble des regrets, où ceux qui en ont usé la trame s’installent chaque fois qu’il leur prend des comparaisons fâcheuses à établir — le meuble où nos grand’mères se souvenaient d’avoir existé, refusé ou accordé quelque chose. En cet instant, la ganache était occupée par la personne de M. Henri Duvicquet, vêtu d’une vareuse rouge et d’une chemise de soie de la même couleur, très évasée autour du cou, d’un large pantalon de molleton gris, et chaussé de babouches écarlates qui s’arc-boutaient en l’air sur la tête joufflue d’un des amours sculptés à l’angle de la cheminée.

Le piano, avec ses pieds de griffons comme une bête au repos, plantait, sous son couvercle entrebâillé, une rangée de touches d’ivoire pareille à la denture de quelque monstre. Au-dessus on voyait suspendue une toile anonyme aussi enfumée qu’authentique, dont