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16 JEAN-FRANÇOIS MILLET.

répliqua : « L’étude de la nature est indispensable, excellente, mais il faut aussi savoir travailler de mémoire. Il a raison, lui (en montrant Millet), il fait servir ses souvenirs. Lorsque j’ai commencé mon Hémicycle, j'ai cru que, faisant poser le modèle, j’aurais l’attitude de mes personnages. Mais je m’aperçus bien vite que je n’aurais que de beaux modèles sans cohésion entre eux. Je vis qu’il fallait inventer, créer, coordonner et produire des figures propres aux caractères de chaque individualité. Il fallut me servir de ma mémoire. Faites donc comme lui, si vous pouvez. » Cependant Millet fut admis au concours de Rome, mais comme Delaroche lui déclara qu’il ne fallait pas songer au prix avant l’année suivante, parce qu’il comptait employer tons ses efforts à faire passer Roux, un autre de ses élèves, à cette sorte d’avancement convenu, réglementé, le dégoûta, et il quitta l’atelier. Il s’était lié depuis quelque temps avec un de ses camarades, esprit aimable et fin, nommé Marolle ; ils louèrent en commun, rue de l’Est, et passaient les heures libres à lire des vers et à discuter Musset. La pension arrivait très irrégulièrement, il fallait vivre en l’attendant. Après avoir esquissé une petite Charité allaitant trois nourrissons, d’un sentiment assez mélancolique, notre artiste, sur le conseil de son ami, composa des pastiches de Boucher et de Fragonard, que Marolle ornait de titres affriolants, mais que les marchands, faisant les dédaigneux, se refusaient à jamais payer plus de 20 francs. II peignit même des portraits — non signés, bien entendu — à 10 et 5 francs.