Néron, Racine parlerait-il autrement ? Si Baudelaire veut s’inspirer d’Horace (encore dans une des pièces entre deux femmes), il le surpasse. Au lieu de « animae dimidium meae » auquel il me semble bien difficile qu’il n’ait pas songé, il écrira « mon tout et ma moitié ». Il faut du reste reconnaître que Victor Hugo, quand il voulait citer l’antique, le faisait avec la toute-puissante liberté, la griffe dominatrice du génie (par exemple dans la pièce admirable qui finit par « ni l’importunité des sinistres oiseaux », ce qui est à la lettre « importunique volucres »).
Je ne parle du classicisme de Baudelaire que selon la vérité pure, avec le scrupule de ne pas fausser, par ingéniosité, ce qu’a voulu le poète. Je trouve au contraire trop ingénieux, et pas dans la vérité baudelairienne, un de mes amis qui prétend que
Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille
n’est autre chose que le « Pleurez, pleurez mes yeux
et fondez-vous en eau » du Cid. Sans compter que je
trouverais mieux choisis les vers de l’Infante dans
ce même Cid sur le « respect de sa naissance », un tel
parallèle me semble tout à fait extérieur. L’exhortation
que Baudelaire adresse à sa douleur n’a rien au fond
d’une apostrophe cornélienne. C’est le langage retenu,
frissonnant, de quelqu’un qui grelotte pour avoir trop
pleuré.
Ces sentiments que nous venons de dire, sentiment de la souffrance, de la mort d’une humble fraternité, font que Baudelaire est, pour le peuple et pour l’au-delà, le poète qui en a le mieux parlé, si Victor Hugo est seulement le poète qui en a le plus parlé. Les majuscules