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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/242

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CHRONIQUES

d’Hugo, ses dialogues avec Dieu, tant de tintamarre, ne valent pas ce que le pauvre Baudelaire a trouvé dans l’intimité souffrante de son cœur et de son corps. Au reste, l’inspiration de Baudelaire ne doit rien à celle d’Hugo. Le poète qui aurait pu être imagier d’une cathédrale, ce n’est pas le faux moyenâgeux Hugo, c’est l’impur dévot, casuiste, agenouillé, grimaçant, maudit qu’est Baudelaire. Si leurs accents sur la Mort, sur le Peuple, sont si inégaux, si la corde chez Baudelaire est tellement plus serrée et vibrante, je ne peux pas dire que Baudelaire surpasse Hugo dans la peinture de l’amour ; et à

Cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu’un long soupir

je préfère les vers d’Hugo

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons

L’amour, du reste, selon Hugo, et selon Baudelaire sont si différents. Baudelaire n’a vraiment puisé chez aucun autre poète les sources de son inspiration. Le monde de Baudelaire est un étrange sectionnement du temps où seuls de rares jours notables apparaissent ; ce qui explique les fréquentes expressions telles que « Si quelque soir », etc. Quant au mobilier baudelairien qui était sans doute celui de son temps, qu’il serve à donner une leçon aux dames élégantes de nos vingt dernières années, lesquelles n’admettaient pas dans « leur hôtel » la moindre faute de goût. Que devant la prétendue pureté de style qu’elles ont pris