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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/63

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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

bout du monde pour la retrouver parce qu’ils ne peuvent se passer d’elle. Tout au plus, au début, lui laissèrent-ils sentir, comme elle ne paraissait pas le remarquer, qu’ils faisaient pour la voir un voyage assez difficile. « C’est très joli, lui dit le comte de La Rochefoucauld la première fois qu’il entreprit le pèlerinage. Est-ce qu’il y a quelque chose de curieux à visiter dans les environs ? » Parmi les visiteurs habituels de la comtesse, il en est un dont le nom est particulièrement aimé des lecteurs de ce journal, habitués à trouver dans ses chroniques une sorte d’opportunité philosophique, des applications saisissantes, comme dans cet article sur la manie d’écrire qui atteignait s’il ne les visait pas tant de jeunes gens du monde en mal de vocation littéraire. C’est le comte Gabriel de La Rochefoucauld. Vous avez tous vu ce grand jeune homme qui porte au front, comme deux pierres précieuses héréditaires, les clairs yeux de sa mère. Mais plutôt que de vous en parler moi-même, car ce n’est pas l’habitude ici que nos collaborateurs se louent les uns les autres, j’aime mieux citer à son sujet l’opinion d’un juge autorisé. « Il aura un extraordinaire talent, disait dernièrement M. Eugène Dufeuille ; il sera la gloire de son monde et il en sera aussi le scandale. »

Née Pignatelli, la comtesse Potocka descend de cet Innocent XII dont Saint-Simon a magnifiquement parlé. « C’était un grand et saint Pape, vrai pasteur et vrai père commun, tel qu’il ne s’en voit plus que très rarement sur la chaire de Saint-Pierre et qui emporta les regrets universels, comblé de bénédictions et de mérites. Il s’appelait Antoine Pignatelli, d’une ancienne maison de Naples, dont il était archevêque lorsqu’il fut élu le 12 juillet 1691… Il était né en 1615