Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/108

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“Ma petite, j’ai oublié mon porte-monnaie.” Vois-tu ça ? Monsieur avait oublié son porte-monnaie. Une autre se serait fichue en rage, n’est-ce pas ? Berthe, par exemple, — elle est brusque — eh bien, elle lui aurait lâché une jolie engueulade. Eh bien, moi, pas du tout. Je suis très froide, vois-tu, j’ai dit seulement : “Ah, mon petit, tu as oublié ton porte-monnaie ! Très bien, tu peux t’en aller.” — Au moment où il s’en va, dans le couloir sombre, je lui fiche une clef dans la figure, de toutes mes forces. Il a dit seulement : “Oh !” Ça lui avait brisé la figure depuis le haut du nez jusqu’au coin de la bouche.

Le sang lui dégoulinait tout le long. Tu parles pas que j’en avais une jolie peur. Je me dis : il va chercher un sergot dans la rue et il remonte m’arrêter. J’étais blanche comme un linge. — Voilà que je me dis : il n’a pas dû beaucoup voir ma figure ; je vais mettre une autre robe et m’emmitoufler dans mon fichu, il ne me reconnaîtra pas. Je m’habille ; je descends, et juste voilà mon individu qui faisait le pied de grue devant la porte, avec son mouchoir sur la figure. Il m’a laissée passer, il ne m’a pas reconnu.

Mais figure-toi, qu’à peu près un an après, j’ai été ramasser un homme rue Auber. Il voulait rester avec moi toute la nuit. Quand je le ramène, je me dis : “Tout de même, je connais cette figure-là.” Tout à coup, vers le matin — j’étais couchée avec lui — je me dis : “J’y suis, c’est le particulier à qui j’ai fichu un coup de clef rue de Maubeuge.” Écoute, je ne suis pas méchante, mais tout mon sang n’a fait qu’un tour. Penser que j’avais couché et fait deux fois l’amour avec un homme qui m’avait volée comme ça ! — Je le secoue et je lui crie :