Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/118

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tiques, de cols incassables ; une mer de linge américain s’épanouit à mes regards ; tous les hommes sentaient la moelle de bœuf ; toutes les femmes exhalaient un terrible parfum mêlé d’Opoponax, de Patchouly, d’Ylang-Ylang et de New-Mown-Hay. Et de ces vagues mouvantes de têtes qui se relevaient et se baissaient tour à tour, entraînant dans leur reflux les chapeaux crevette, les capotes roses, les feutres mousquetaire, les coiffures amazone, les gibus, les panama et les melon, s’élevaient des hymnes d’actions de grâces et des odes de remerciements ; les chants gracieux flottaient dans l’air parfumé des Sandwich. Les jeunes filles, bombées dans leur crinolines et raides dans leurs corsets mécaniques, m’encensaient sur mon passage. Il me sembla que je frappais les cieux de la tête quand j’entrai comme un monarque dans Honolulu.

“J’avais fui la misère en Europe ; je trouvais la gloire aux Sandwich. Eux, Monsieur, les habitants d’Oahu, avaient apprécié au moins mon style puissant. Ils portaient en mon honneur mes sujets de nouvelles. Le peuple des Sandwich aime les journaux de modes. Il essaye volontiers de tout, sans reculer devant les parures excentriques. Ma fertilité d’imagination l’avait séduit.

“Honolulu a été pour moi le paradis terrestre. J’ai commis une faute : j’ai voulu renchérir sur ma réputation. Je tenais à montrer à ces insulaires combien peu d’efforts il me fallait pour produire des chefs-d’œuvre. Alors j’envoyais en manière de correspondance au Shampooing Quotidien une charmante chronique sur la nouvelle tournure à ressort. Mais je ne pouvais pas essayer l’article : c’est la seule fois que j’aie fait du reportage.