Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/119

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“Monsieur, les gens d’Oahu arrivèrent à ce point d’enthousiasme qu’ils firent venir une cargaison de ces tournures. Et une corvette russe ayant mouillé en rade d’Honolulu, le consul de Russie donna une soirée où les dames étrennèrent leurs tournures neuves.

“Lorsqu’elles se levèrent pour commencer à danser, une effroyable détonation se produisit, une pétarade, une fusillade, un feu roulant. Le capitaine russe et son second tombèrent à terre, se croyant dynamités. Je fus, en moins d’un moment, entouré, hué, menacé, vilipendé ; deux matelots russes me mirent aux fers. Et pourquoi ? pourquoi ? Parce que mes tournures avaient été fraudées. Parce qu’on y avait glissé de vieux ressorts à gibus.

“Monsieur, je quittai l’Archipel des Sandwich. Je ne pus pas y rester, je suis revenu en France traîner ma chaîne de misère. Mais pour l’amour de Dieu, laissez-moi essayer les Pomotou. Cinq ou six articles leur suffiront. Je voudrais y finir paisiblement mes jours.”

Alors cette créature pâle essuya son front où perlait une sueur d’angoisse. Je lui dis que la Mode des Batignolles ne faisait pas le genre Polynésien et je lui donnai une lettre d’introduction pour le Pulvérisateur Hebdomadaire. Je lui souhaite sincèrement de réussir.