Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lier au plus haut point et dépourvu de toute scholastique, si bien qu’un étranger qui aurait connu ses œuvres, non sa personne, aurait trouvé difficile de croire que, dans ce charmant et délicieux compagnon, il voyait le profond auteur de la Philosophie transcendantale.

Les sujets de conversation à la table de Kant étaient principalement tirés de la philosophie des sciences, de la chimie, de la météorologie, de l’histoire naturelle, et par-dessus tout, de la politique. Les nouvelles du jour telles qu’elles étaient rapportées dans les gazettes étaient discutées avec une spéciale vigilance d’examen. En ce qui regardait tout récit auquel il manquait date de temps ou origine de lieu, quelque plausible qu’il pût paraître, Kant se montrait toujours inexorablement sceptique et le tenait comme indigne d’être raconté. Si aiguë était sa pénétration intérieure des événements politiques et de la secrète police qui les faisait mouvoir, qu’il parlait plutôt avec l’autorité d’un diplomate qui aurait eu accès au Conseil de Cabinet que comme un simple spectateur des grandes scènes qui se déroulaient en ces jours à travers l’Europe. Au moment de la Révolution française, il émit de nombreuses conjectures, ce qui passait alors pour des prévisions paradoxales, surtout en ce qui concerne les opérations militaires, qui furent aussi ponctuellement accomplies que sa fameuse conjecture sur l’hiatus du système planétaire entre Mars et Jupiter, hypothèse dont il put voir encore la confirmation, grâce à la découverte de Cérès par Piazzi et de Pallas par le Dr  Olbers. Ces deux découvertes, il faut le dire, l’impressionnèrent fortement, et elles lui fournirent un sujet