Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/192

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toujours lourd et stupide, s’était à l’origine acquitté de ses fonctions avec une fidélité suffisante. Mais en ces derniers temps, persuadé qu’il était devenu indispensable par sa parfaite connaissance de tous les arrangements domestiques, et profitant de la faiblesse de son maître, il était tombé en de grandes irrégularités, en d’incessantes négligences. Kant s’était donc vu forcé de le menacer à plusieurs reprises de le renvoyer. Moi qui savais que Kant avait un cœur excellent, mais était aussi très ferme, je prévoyais que ce renvoi une fois prononcé serait irrévocable : car la parole de Kant était aussi sacrée que les serments des autres hommes. J’avais donc saisi toutes les occasions pour montrer à Lampe la folie de sa conduite ; en quoi sa femme s’était jointe à moi. Et il était grand temps de réformer cet état de choses ; car il était devenu dangereux d’abandonner Kant, qui sans cesse tombait par faiblesse, aux soins d’un vieux misérable qui tombait lui-même continuellement par ivrognerie. Le fait est que, du moment où j’entrepris de gouverner les affaires de Kant, Lampe vit que son vieux système d’abus de confiance au point de vue pécuniaire, d’exploitation de toute sorte qu’il avait faite de l’état d’incapacité de son maître, était ruiné. Ceci le jeta au désespoir et il se conduisit de plus en plus mal jusqu’à ce qu’un matin de janvier 1802 Kant me dît que, toute humiliante que fût pour lui une telle confession, il devait m’avouer que Lampe venait de le traiter d’une façon qu’il avait honte de me répéter. Je me sentis trop choqué pour le peiner en lui demandant les détails : mais le résultat fut que Kant insista avec modération, mais fermeté, pour donner congé à Lampe. En effet on prit sur l’heure