Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/194

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fidélité” — (en effet, Kant ne savait pas qu’il l’avait volé) — “mais n’a point su montrer ces qualités particulières qui convenaient au service d’un homme vieux et infirme comme moi.”

Cette scène troublante terminée — et elle causa à Kant, si avide de paix et de tranquillité, un choc qu’il aurait bien voulu s’épargner — il se fit par bonheur qu’aucune autre de cette nature ne survint durant le reste de son existence. Kauffmann, le successeur de Lampe, se trouva être un homme respectable et honnête qui bientôt conçut un grand attachement pour son maître. Dès lors, les choses furent transformées dans le ménage de Kant. L’absence d’un des belligérants rétablit la paix parmi ses domestiques : car jusque-là il y avait eu guerre éternelle entre Lampe et la cuisinière. Quelquefois, c’était Lampe qui envahissait belliqueusement le domaine culinaire de la cuisine. Quelquefois, c’était la cuisinière qui se vengeait de ces insultes en exécutant des sorties contre Lampe sur le terrain neutre de l’antichambre, ou même venait l’attaquer jusque dans son sanctuaire de l’office. Les querelles étaient incessantes. Là au moins ce fut un bonheur pour la paix du philosophe que d’avoir commencé à être atteint de surdité : ce qui lui épargna maintes manifestations d’horrible tumulte ou d’ignoble violence qui ennuyaient ses hôtes et ses amis. Mais maintenant tout changea. Un profond silence régna dans l’office ; la cuisine ne résonna plus d’alarmes martiales, et il n’y eut plus d’embuscades armées dans l’antichambre. Cependant on peut s’imaginer que pour Kant, à l’âge de 78 ans, les changements même en mieux n’étaient point agréables. Si intense avait été l’uniformité