Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/195

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de sa vie et de ses habitudes, que la moindre innovation dans l’arrangement d’objets aussi peu importants qu’un canif ou une paire de ciseaux le troublait ; et non point seulement si on les avait placés à deux ou trois pouces de leur position habituelle, mais même si on les avait posés un peu de travers. Quant aux objets plus grands, tels que des chaises, etc., tout dérangement dans la disposition usuelle, toute transposition, toute addition à leur nombre le jetait dans une absolue confusion. Et son œil hantait avec inquiétude le coin dérangé jusqu’à ce que l’ancien ordre fût rétabli. Avec de telles habitudes le lecteur peut concevoir combien il dut être troublant pour lui, à cette période où ses facultés s’affaiblissaient, de s’adapter à un nouveau domestique, à une nouvelle voix, à un nouveau pas, etc.

Je ne l’ignorais pas, et j’avais, la veille du jour où il prit son service, inscrit pour le nouveau valet sur une feuille de papier l’entière routine de la vie journalière de Kant, jusqu’aux détails les plus minutieux et les plus complets ; et il les avait saisis avec la plus grande rapidité. Pour m’en assurer toutefois, je lui fis faire une répétition de l’ensemble du rituel ; tandis qu’il accomplissait la manœuvre, je le surveillais et lui donnais les indications. Toutefois, je me sentis inquiet à l’idée qu’il serait entièrement abandonné à sa discrétion, le jour où il ferait son début pour de bon, et je me fis donc un devoir d’être présent en cette importante journée. Dans les cas peu nombreux où le nouveau conscrit n’avait point accompli exactement la manœuvre, un regard ou un signe la lui firent facilement corriger.

Il n’y avait qu’une partie du cérémonial quotidien