Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/260

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La Juive dit :

Seigneur, quand nous allions remplir nos outres vides
Sur les bords verdoyants, sur les rives humides
Du Jourdain murmurant !
Seigneur, quand nous allions, nos cruches sur la tête,
Revenant quelquefois, le soir des jours de fête,
Par le lit d’un torrent !

Hélas ! quand les bergers d’Ophir ou de Chaldée
Nous montraient dans la nuit ou la chèvre Amalthée
Ou le Bouvier brillant !
Et murmuraient tout bas de si douces paroles
Que les sages souvent les suivaient comme folles,
Folâtrant et riant !

Hélas ! et nos parents qui restaient sous la tente,
Et nos moutons bêlants, ma chèvre bondissante
Jadis en Chanaan !
Nous sommes le butin du Rouge qui trafique,
Nous servons humblement le Libyen d’Afrique,
Là-bas, vers l’Océan !

Et souvent, quand le soir nous rentrons sous leurs tentes
Que dans le ciel encor des lueurs rougissantes
Tremblotent en fuyant,
Un Barbare nous dit : “Hé, filles de Judée,
Venez ! nous causerons, je connais la Chaldée,
Et le ciel d’Orient !”

Il nous faut obéir — Je ne suis qu’une esclave —
Il me faut essuyer le Maître, s’il se lave,
L’essuyer en riant !
Nous, l’espoir du Seigneur, les libres descendantes
De Déborah — jadis ! — nous sommes des servantes,
Loin du ciel d’Orient !