Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/58

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C’est pourquoi il nous a paru indispensable, en manière de préface à son œuvre, de mettre sous les yeux de ses amis et de ses admirateurs les essais de l’enfant et de l’adolescent.

L’artiste en prose ne sera jamais plus riche ; il est parfait. C’est un vrai philosophe, avant même qu’il ait entendu parler de philosophie. Il n’a lu que les anciens, les vrais maîtres, et il a déjà une théorie pour les comprendre, les adapter et les rendre. Parmi les modernes, il ne connaît guère que Victor Hugo, dont il s’éloignera assez rapidement. Son poète sera l’universitaire Ernest Dupuy. Cependant, telle est la personnalité de Schwob que certains de ses vers font penser à la fois aux nouveautés d’Arthur Rimbaud, aux trouvailles de Laforgue, et d’une manière générale aux poëmes philosophiques d’Alfred de Vigny. Je ne sais pas s’il a déjà lu Baudelaire ; il le rejoint cependant par tout ce qu’il porte de volupté, de sensibilité moderne, de musique et de forme classique.

Au surplus, (ceci servirait à justifier cette publication d’inédits de sa jeunesse), il y a chez Marcel Schwob un tel besoin de renouveau et tant d’âcreté dans son printemps à lui, que nous comprendrions mal la suite de son œuvre sans avoir parcouru ces vers et ces proses auxquels il ne tenait plus. Car l’homme est resté l’enfant qu’il fut, très mystérieux, très solitaire, écrivant pour lui, en cachette, pour s’évader, pour se libérer, sans aucune préoccupation de succès ou de mode.

C’est vers la quatorzième année que Marcel Schwob commença de s’exprimer. Il vient d’arriver à Paris, en 1881, et il est au lycée Louis-le-Grand en seconde chez M. Boudhors. Il demeure chez son oncle M. Cahun, bibliothécaire à la Mazarine, dont nous avons dit l’influence considérable sur son esprit. Sa “chère maman bien-aimée” est sa confidente à laquelle il écrira tant de lettres remplies d’affection. Elle est elle-même une femme d’esprit supérieur, une institutrice remarquable qui a fait l’éducation de Mme Arman de Caillavet ; et son père, Georges Schwob, est un journaliste lettré, comme lui, d’une rare bonté.

Les lettres que l’enfant leur adresse nous permettent de suivre ses efforts, de voir sa gentillesse, son application et sa modestie. Il sait cependant tant de choses ; il parle l’anglais et l’allemand, grâce aux précepteurs étrangers que ses parents lui avaient donnés. Maurice Schwob, son frère aîné, l’a précédé au lycée Louis-le-Grand, et il achève en ce temps-là ses études à Polytechnique. Le petit Marcel regarde ses maîtres et ses camarades : “M. Boudhors a la figure ridée, comme une vieille pomme ratatinée, et sa barbe commence à blanchir.